XIII. LE
RETOUR DE LAARSEN VAN SCHNIDL’DIDNT
Alors qu’ils traversaient
niaisement une route de campagne, Zézeth se rua tout à coup sur Hans et le
souleva dans les airs. Elle le sauva ainsi d’une montagne qui avait manqué
l’écraser.
Comme nos héros pouvaient
s’en rendre compte par eux-même, un panneau indiquait : « Attention :
passage de montagnes ».
- Elles pourraient au-moins
respecter les limitations de vitesse ! se vexa Hans.
Cirlé et Hans se reculèrent
pour admirer le phénomène. Ils pouvaient assister à l’étrange spectacle d’un
convoi de collines. En effet, depuis que la foi déplaçait les montagnes, elles
se promenaient parfois et retournaient finalement à leur place. Les Broumpfs
avaient même établi leur calendrier en fonction des migrations montagnardes ;
il était de ce fait complètement aléatoire mais si charmant.
Quelquefois, les très
vieilles chaînes de montagnes ou les jeunes collines s’égaraient en chemin et
se fixaient alors n’importe où dans la nature. Cela causait des inconvénients
considérables quand elles s’établissaient en plein milieu d’un village (ou même
un peu à droite).
Le lendemain matin, vers 16
heures de l’après-midi, nos héros avaient enfin atteint le repaire secret de
Laarsen Van Schnidl’didnt, qui se trouvait tout simplement dans l’arrière-cour
de la célèbre Auberge de Moulakek.
Hans en profita pour
s’attabler et commander un copieux repas de circonstance. Le maître-queux à
l’allure sauciflarde, leur mitonna une spécialité culinaire du royaume : le
Canigou goût « viande vermoulue » en brochettes. Hans et Cirlé se
régalaient … de ne pas devoir en manger, car ils venaient d’entamer un régime
draconien.
Après le café, ils
décidèrent enfin d’aller dénicher Laarsen Van Schnidl’didnt dans son antre.
Le palais du Grand
Incubateur était majestueux et entièrement construit en peau de testicules de
cyclomotoriste tchétchène. Ils trouvèrent Laarsen Van Schnidl’didnt dans son
laboratoire, en train de tester le nouveau PET 5000. Il ne semblait pas surpris
par l’arrivée de nos deux pacsés. Cela nous rappelle d’ailleurs un vieux dicton
populaire toujours d’actualité : « Qui s’endort avec le c... qui gratte dans un bar gay, se réveille ...
rapidement ».
Hans s’adressa violemment au
Sorcier :
- Incubateur Van
Schnidl’didnt, nous venons vous tirer les Frützn du nez ! Veuillez vous laisser
faire, cela se passera bien. Vous n’avez qu’à vous pencher en avant et vous
détendre. Allons, ne faites pas cette tête, je vais vous chanter une petite
chanson pour vous faciliter la tâche.
Malgré toutes les attentions
de Hans, l’interpellé n’était visiblement pas enclin à se faire tirer les
Frützn du nez : le visage défiguré par la haine, il frétillait en évoquant des
entités maléfiques redoutables dans un langage rappelant vaguement celui
employé par Cirlé à sa naissance :
« Bliblu,
Floubi-Gigabeurk Lerai, Groflubolo », s’exprimait-il.
Il était assurément courroucé,
car de la spume fongique lui échappait des lèvres, tel un Faglu enragé à
l’approche de sa femelle.
Soudainement, une multitude
de petites créatures naines surgirent et s’avancèrent vers nos deux guerriers.
- Pisseroupette ! S’exclama
Cirlé. Ce sont des Lerai : des répliques miniatures de Professeurdallemand, un
monstre épouvantable !
- Ils ont l’air mignon de
loin, s’attendrissait Hans.
- Non, Hans, tu te mets le
doigt dans la main, ce sont des monstres !
Hans prit l’un d’eux dans
ses mains : son nez était truffé de phlegmons de la plus immonde espèce. Il
était obèse de surcroît.
Il mordit sauvagement Hans
entre les deux gros orteils et rejoignit ses compagnons. Ils se mirent à
hurler.
Leur terrassant cri de
ralliement : « Sür-Krüt ! », avait de quoi surprendre les sourds les
plus avertis. Hans en resta coi :
- Je ne peux plus parler,
messire, s’écria-t-il la bouche bée.
Nos deux guerriers étaient
rapidement recouverts par les créatures naines. Ils réussissaient cependant à
s’en débarrasser au prix de contorsions rappelant vaguement le sorcier Jagrip
Lerb lorsqu’il paria un jour avec son disciple que s’il ratait sa prochaine
invocation de démon mineur, il se les mordrait. Ce qu’il fit.
C’est alors qu’apparut
Sacréboudiou l’Archidémon, dans un nuage de fumée.
Quand Cirlé reconnut le
Seigneur des Ténèbres, il s’adressa à Laarsen Van Schnidl’didnt :
- Vous m’avez trompé, espèce
de flatulence fermentée, avouez que Sacréboudiou était votre allié depuis le
début !
L’interpellé répondit de
tout son flegme :
- Ta gueule.
Il s'éclipsa par un passage
secret en s’écriant : « Je refluerai ! Mon talion sera pantagruélique
! ».
- Plaît-il ? S’enquit Hans.
Le combat contre le
surpuissant démon s’annonçait palpitant :
Nous vous présentons là un
Héros de troisième catégorie, Cirlé : grand, cheveux rouges, yeux blancs
comme tous les albinos melnibonois dont il était le seul représentant.
A sa droite par rapport à la
position du pouce de la main gauche à plat (paume vers le haut, bien sûr), se
trouvait un second personnage nommé Hans, en train de s’enfuir si Cirlé ne le
retenait pas par la culotte.
Face à eux se trouvait
Sacréboudiou dans une posture de combat relativement improbable : la
position dite « de la grosse commission ». Il raillait ainsi les deux
mortels qui osaient l’affronter. Osons dire qu’il rotait aussi.
Même les deux
glaives-démons, Hémoglobine et Gillette, refusaient de prendre les armes face à
un démon qui leur était supérieur.
Cirlé et Hans s'élancèrent
néanmoins sur la créature diabolique et la ruèrent de coups de poing. Mais à la
suite de quelques ripostes douloureuses du démon, ils furent d’avis que la
partie était loin d’être gagnée. Hans cherchait d’ailleurs un bout de son bras
en réfléchissant à ce problème substantiel.
Sacréboudiou s’en donnait à
cœur-joie : il tambourinait allègrement ses infortunés adversaires, ne
lésinant ni sur les coups de griffes ni sur les écrasements sumotoriques ou
autres fantaisies sataniques.
Hans, entre deux fractures,
avait à peine le temps de méditer sur ce que déclarait si bien Siegfried
Schaareschliffer : « C’est en
forgeant qu’on frappe l’enclume avec le marteau ». Cirlé avait plus de
chance de son côté puisqu’il se servait de Hans comme bouclier, avec
efficacité. Mais pour combien de temps ? Se demandait-il.
A ce moment, un Twiddl
Voyageur fit brusquement son entrée dans la pièce et apporta un
message-hologramme provenant de Laarsen Van Schnidl’didnt. L’annonce
disait : « Je refluerai ! Et mon talion sera pantagruélique ! ».
- On comprend toujours rien
à ce que vous dites, monsieur Schnidl’didnt, affirma Hans.
Fort heureusement, cette
interruption dans le combat avait permis à Cirlé d’élaborer en cachette un
sortilège puissant : il se mit à frétiller et à braquer ses poings réunis en
direction de Sacréboudiou.
C’est alors que jaillit un
faisceau destructeur qui frappa l’Archidémon en plein dans les parties : Cirlé
venait de lui administrer un Fulguropoing d’un calibre tout à fait respectable.
Sacréboudiou s’en remettait difficilement, au demeurant, notamment depuis son
pénible Châtiment du Rouston Torsadé.
- Crénom d’une coucoumelle
de loup ! S’enthousiasma grossièrement Cirlé.
L’affrontement, plus
équilibré dorénavant, se poursuivit plusieurs heures durant et quelques pauses
et rafraîchissements avaient été nécessaires pour se ressourcer.
Finalement, lassés et
fourbus, les trois belligérants décidèrent conjointement d’exprimer leur fougue
d’une manière différente : ils entamèrent une partie de billes réglementée par
le Grand Organisateur Universel et Jury Officiel Normalisateur (G.O.U.J.O.N.).
Le principe était simple : chaque partie gagnée donnait droit à un coup porté
sur la personne de son choix.
Au bout d’un moment, après
avoir compris qu’il valait mieux choisir Sacréboudiou, Cirlé et Hans
commencèrent à acquérir un avantage conséquent sur celui-ci.
Mais la bataille se
prolongeait interminablement et le tonneau d’hydromel allait rendre l’âme sous
peu.
Nos trois champions en
étaient à se faire des embrassements et à chanter plutôt que de s’asséner des
coups : c’était à la fois moins fatiguant pour les uns et moins douloureux pour
les autres.
Finalement, tous
s'assoupirent.
A leur réveil, ils
sympathisèrent un peu et allèrent vomir beaucoup.
Ils décidèrent que
l’affrontement était nul. Car comme le disait Maître Yodl : « S’il ne devait en rester qu’un ... il serait
tout seul ». Or là, ils étaient trois.
Devant les yeux estomaqués
et les ventres écarquillés de Cirlé et Hans, Sacréboudiou alla chercher le Pecnomicon et le leur
présenta. Il avoua qu’il était intégralement rédigé en alsacien et qu’il n’y
comprenait rien, tout Archidémon qu’il était. Quelle malveine !
- Seul Rasmus Schweissfehs
pourra nous le traduire ! S’écria Cirlé.
- Mais il est mort. Et fou,
de surcroît. Précisa Sacréboudiou.
- Je connais son fils,
Carlos le Gluant, déclara Hans, nous étions ensemble en maternelle quand il
était ostréiculteur borgne. Depuis, il est devenu chanteur à succès sous le nom
de Mireille Mathieu. Il est actuellement en tournée mondiale dans la salle de
bain municipale de Séfoukomtékon.
- Allons lui rendre visite !
proposa Cirlé.
C’est ainsi que Cirlé, Hans
et Sacréboudiou retournèrent à Séfoukomtékon.
Un Vociférateur Public se
trouvait sur la place du village et proclamait les informations régionales. Il
était assis sur Prépusse le Vigoureux, lui-même en train de flageller
voluptueusement Marcel le Mérou : ce qu’il lui faisait à l’extérieur se voyait
à l’extérieur !
« Oyez, Oyez ». Disait-il.
De nombreux flâneurs
venaient assister au journal de 16 heures. Malheureusement, les nouvelles
n’étaient pas des plus guillerettes : le prix du moulf, la monnaie locale,
avait augmenté de deux moulfs et demi.
Le Vociférateur était muet.
Cirlé compatissait : il avait été lui-même Vociférateur et vendeur de chaussettes
dans sa jeunesse avant d’être le fils de la reine, Constance de Freund.
Il avait d’ailleurs retracé
cette partie embarrassante de sa vie dans son célèbre roman « Mets-Voir-d’Autres-Tongs », inspiré
par le poête-écrivain Châteausombre.
Son récit était si triste
qu’il avait plongé tout le royaume de Melnibono dans une profonde jubilation.
En effet, Cirlé y narrait les dernières blagues et hâbleries du voisinage, ce
qui entraîna le chômage précipité de Bozo, le bouffon du Roi.
A la suite de cet événement,
le Roi lui-même, pour remplacer son clown, avait passé une petite annonce
austère qui disait : « Cherche
comique. Pas sérieux s’abstenir ».
Une autre annonce du même
type mais d’un genre différent semblait étrangement familière : « J’enflerai ! Mon pantalon sera gruélique ! »,
signée L.
Au loin, un dindon farceur
promenait son maître...
* * *
INTERLUDE
DE L’EPILOGUE
Nos héros ne mirent guère de
temps à retrouver la trace de Carlos le Gluant. Celui-ci était en effet atteint
d’une indisposition particulièrement anormale du nez qui ne cessait de
s'écouler passionnément en laissant des sillages visqueux sur le sol.
Mais grande fut leur
surprise lorsqu’ils remarquèrent que Carlos le Gluant était en réalité Bozo,
l’ex-bouffon du roi, déguisé en Freluquet à Tête Rabougrie. Depuis le début, il
avait inventé tout un stratagème pour se venger de Cirlé.
Cependant, un détail l’avait
trahi : son bermuda tyrolien en cuir de Maflu était considérablement trop
platonique pour espérer décrocher le titre de Miss Pieds Fripés.
De plus, Bozo avait omis que
Sacréboudiou était un Archidémon omnipotent, Seigneur des Ténèbres, et Pilier
de bar aux Enfers de surcroît. Il tapota gentiment Bozo à la tête et l’écrasa
de tout son long. Il ne subsistait de lui qu’une grosse bouillie disgracieuse
que le démon piétina avec extase et ses pieds incarnés.
En la mémoire de ce grand
guerrier nain qu’était Bozo, Cirlé entonna un chant grégorien qu’il composa
instantanément de sa plus habile improvisation. Hans, qui connaissait aussi
cette complainte improvisée, ne se souvenait plus des paroles mais accompagna
son maître au pied levé en jouant de sa flûte-rock, en levant le pied.
Cirlé chantait accompagné de
son épée Hémoglobine :
« Le
roi avait mal au postérieur
Oumpf
était donc son Masseur
Mais
les femmes le nommaient Vibro
Car il
ne frottait pas que le dos.
En
compagnie des libertines,
Il
énonçait sa comptine :
« Le
bonheur n’est pas dans le caleçon de Pépé ».
Et il
savait de quoi il parlait.
Elles
aussi.
Refrain
: Tralala. »
Avant de trépasser, Bozo
remit à Cirlé un exemplaire de son testament stipulant clairement que Bozo ne
savait ni lire ni écrire. Il se confia également à eux et leur exprima ses
dernières volontés : « Je veux pas mourir ! ».
A la suite du départ de
Sacréboudiou pour d’autres aventures et massacres, Cirlé et Hans retournèrent
en héros dans leur royaume natal avec le Secret du Pecnomicon : le Pouvoir
d’ôter la migraine aux dames.
Le Roi, malgré ses
rhumatismes auditifs et son aversion pour les courgettes, avait tenu à assister
au triomphe de nos héros et à célébrer leur retour au pays de Melnibono.
- Burnemolle ! Pour fêter
cela, sabrons une bouteille de rôteuse ! S’exclama le Roi en apprenant la
nouvelle.
Morpius Ier, Coiffeur royal
et Dompteur de Schtrüvl à la Cour fut chargé de s’occuper des amusements,
banderoles et autres feux de Bungalow (cf. feux de paillotes).
Toute l’assemblée invitée
par le Roi était prise d’une mélancolie enthousiaste, car elle apprenait par là
même que l’aventure de nos deux héros touchait à sa fin.
La fête commença par de
grandes explosions de cotillons de papier, qui coûtèrent la vie à Morpius Ier,
vigoureusement allergique à ces divertissements pourtant peu onéreux et
toujours bien à propos lors des fêtes sans alcool, qui sont généralement plus
folles, il faut bien l’avouer.
C’est à ce moment précis (ou
un peu plus tôt en fait) que débarqua Pustule la Sirupeuse en gratifiant les
convives de son proverbe préféré : « Les
derniers arrivés ne seront pas les premiers ».
Mais personne ne lui
répondit. En fait, les hôtes étaient tous déjà repartis. Certains eurent même
l’audace de subtiliser des biscuits ou des ballons, voire les fameuses nappes
en papier décoré qui créaient tout l’apparat des réceptions royales.
En fait, pour dire la
vérité, le Roi n’avait invité personne, de peur qu’on lui subtilise justement
ses linges de table en papier. Il craignait aussi secrètement que l’on découvre
qu’il n’était pas vraiment le Roi de Melnibono puisqu’il avait perdu son trône
quelques décennies auparavant, lors d’un pari stupide avec la jument de sa
belle-mère. Il habitait aujourd’hui dans une modeste hutte et passait ses
journées à travailler la terre pour son maître le Roi.
Le Roi, en ce moment,
donnait d’ailleurs une réception grandiose en l’honneur de Cirlé, Hans et
Sacréboudiou, dénicheurs du Pecnomicon. La fête était majestueuse, les décors
somptueux et les invités abondants. Mais, intérieurement, le Roi craignait pour
ses nappes.
* * *
Cirlé et Hans, ne se
souciaient déjà plus des festoiements alentours. Ils terminaient les derniers
préparatifs et n’oubliaient pas d’aller au petit coin avant de partir pour une
nouvelle mission encore plus périlleuse.
Mais laquelle, au fait ?
FIN
XIV.
INDEX